Louise Willy, un mystère érotique, 1896
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Nous sommes en octobre 1896 à Paris. Albert Kirchner, dit Léar, réalise dans un décor de théâtre un court-métrage de 7 minutes intitulé "Le Coucher de la mariée". Le cinématographe vit alors ses débuts, faisant de ce film l'un des premiers de l'histoire, et au passage, le premier film érotique connu. Une jeune mariée interprétée par Louise Willy s'y effeuille lentement devant un mari n'en pouvant plus.
Projeté le mois suivant au Café de la paix, établissement parisien célèbre, Le Coucher de la mariée connaît un franc succès. Le film est ensuite projeté à Nîmes, Bourges, Limoges, Pontarlier, Brive, Tulle, Privas et finalement Lyon. Une projection est même organisée en Espagne, à Valence. Et puis, le temps passant, les bobines sont égarées, privant les générations futures d'un moment d'anthologie du cinéma français. Jusqu'en 1996...
Un siècle plus tard, une copie est miraculeusement retrouvée dans les archives françaises du film. La pellicule est très dégradée mais s'avère en partie restaurable. On découvre alors un morceau de film érotique très timoré, dépourvu même de nudité, conforme aux moeurs de son temps. La suite n'était probablement pas plus explicite. Ceci dit, les productions de charme se sont très vite dévergondées. Le premier film pornographique, À l'écu d'or, date de 1908, et ne fait pas dans la dentelle, mettant en scène une femme faisant corps avec un tuyau d'aspirateur avant de s'adonner à une partie à trois…
La disparition de Louise Willy
Si Le coucher de la mariée est désormais bien connu, la trajectoire mystérieuse aux relents morbides de son actrice principale l'est beaucoup moins.
Louise Willy, 23 ans, est lors du tournage une étoile montante du théâtre et du cabaret, acclamée à l'Olympia dans la pièce à l'origine du court métrage. Après Le coucher de la mariée, sa carrière explose. Elle enchaîne les pièces et les tournées triomphales et devient l'une des premières vedettes du cinéma. Mais en 1913, Louise Willy disparaît.
Si la comédienne n'est évidemment plus au sommet de sa gloire en 1913, elle a encore du succès. Elle vient de tourner un film avec Raimu, sa dernière pièce aux Folies Bergère a été très bien accueillie et les journalistes la suivent toujours. Une fin de carrière brutale n'est donc pas crédible et une retraite soudaine, sans même un entrefilet dans la presse, semble très improbable. De fait, Louise Willy est vraisemblablement morte en 1913 dans des circonstances empêchant son corps d'être identifié ou retrouvé, et rapidement éclipsée par la première guerre mondiale, sa disparition ne déclenchera pas véritablement de recherches.
Mademoiselle Willy
Au sortir de la guerre, son public est à l'affût, espérant lire son nom sur les affiches des théâtres. Une comédienne peu scrupuleuse de la scène parisienne essaie d'ailleurs d'en profiter dès 1918 pour faire décoller sa carrière. Espérant passer pour Louise Willy faisant son grand retour, elle modifie son nom de scène pour "Mademoiselle Willy", sans grand résultat, les deux comédiennes ne se ressemblant même pas.
Louise Willy ne réapparaîtra jamais, personne ne retrouvera sa trace, même morte. L'affaire est encore à ce jour un mystère.
La Môme Bijou
Durant les années 1930, un personnage truculent surgit à Montmartre. Une femme, d'âge mûr, au visage angulaire et un brin gironde. Elle se présente comme une "ancienne artiste" ayant naguère connu le succès et mené grand train, avant dit-elle de "tout plaquer" pour un homme. Elle a finalement tout perdu, même sa fortune, dilapidée sur les champs de courses, et se voit obligée sur le tard de s'improviser diseuse de bonne aventure. Couverte de babioles, le visage peinturlurée, elle devient rapidement une icône de Montmartre surnommée la "Môme Bijou". Elle apparaît le soir venu dans les bistrots de la rue Fontaine, commande un verre de vin et enchaîne les cigarettes, dans l'attente de clients. Elle vit en réalité surtout de la générosité des gens, certains lui donnent un peu de monnaie, d'autres lui paient un repas chaud ou un énième un verre de vin, elle devient alors affable et ses histoires plaisent ; la présence de cette mendiante ne dérange donc pas les tenanciers, elle serait même plutôt une attraction. Parfois aussi, elle monte, il faut bien gagner son pain.
D'aucuns en sont de nos jours persuadés, il s'agit de Louise Willy. Elle se serait donc bel et bien retirée sans mot dire en 1913, réapparaissant ruinée vingt ans plus tard, incognito, ne voulant pas voir sa déchéance étalée dans la presse, même si cette menace ne plane pas vraiment. Louise Willy appartient alors à un passé déjà lointain et obscurci par la Grande Guerre, aucun contemporain ne semble donc l'avoir reconnue sous les traits vieillissants de la Môme Bijou. D'ailleurs, tout le problème est là…
La Môme Bijou est décédée le 18 décembre 1940 sans jamais avoir confirmé être ou avoir été Louise Willy. Et aucun proche de Louise Willy ne l'a confirmé non plus. Si la ressemblance et certains éléments du discours sont en effet troublants, Louise Willy était même une habituée des champs de courses, il peut très bien s'agir de coïncidences, le mystère ne peut donc être considéré comme résolu.
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Sources de l'article
- Louise WILLY (Le Grimh)
- Le Coucher de la mariée (Le Grimh)
- La Chimère sur l'asphalte (Paris-Midi, 22 mai 1938)
- Bijou de Montmartre (Bravo, 1er juin 1930)
- Nos Échos (Le Journal, 28 novembre 1892)
- Cléopâtre (Paris qui chante, 3 juin 1906)
- Le Coucher de la mariée (film, 1896) (Wikipédia)
- À l'Écu d'or ou la Bonne Auberge (Wikipédia)
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Publié par Jean-Charles Pouzet sur Caedes le 11-03-2025