Caedes

Hélène Jégado, 1833-1851 - L'Ankou en chair et en os

Caedes > Criminels > Hélène Jégado

Hélène Jégado

En résumé

Nous sommes le 19 octobre 1850 à Rennes. Théophile Bidard, professeur de droit, accueille sa nouvelle cuisinière, Hélène Jégado, avec une mauvaise surprise: elle pensait travailler de concert avec Rose Tessier, la femme de chambre, elle travaille en fait sous ses ordres et trouve rabaissant à 47 ans d'être la subordonnée d'une femme de chambre.

Les relations entre les deux femmes sont ainsi dès le départ exécrables, mais elles ne vont pas se subir l'une l'autre bien longtemps.

Deux semaines plus tard, le dimanche 3 novembre au matin, Rose Tessier part faire une longue promenade. À son retour, elle déjeune et aussitôt après, se met à vomir. Ayant copieusement déjeuné, la crise de foie est probable, un peu de repos lui fera le plus grand bien. Le soir venu, d'une gentillesse étonnante, Hélène Jégado lui apporte du thé ; elle semble alors aller mieux, mais finit par être malade toute la nuit. Monsieur Bidard fait venir d'urgence un médecin, puis un autre, et encore un autre… mais rien n'y fait, son état se dégrade. Elle décède finalement le jeudi 7 novembre. Les médecins voient deux causes possibles à ce décès: une rupture du diaphragme ou un empoisonnement. A priori farfelue, la piste criminelle est écartée.

Pendant ce temps, ravie d'être seule maîtresse à bord, Hélène Jégado manifeste le souhait de le rester. Mais il en est décidé autrement.

Le 1er décembre, Françoise Huriau arrive pour remplacer Rose Tessier. Hélène Jégado a tôt de faire de lui casser du sucre sur le dos, l'accusant notamment d'être paresseuse et incompétente. Elle finit même par demander son renvoi, sans obtenir gain de cause.

Françoise Huriau tombe alors subitement malade. Elle vomit, souffre de douleurs terribles à l'estomac et aux extrémités, et se sent constamment déshydratée et frigorifiée. Exactement comme Rose Tessier. Sa famille la retire de cette maison, où elle était de toute façon malheureuse. Aussitôt partie, elle commence à guérir.

Hélène Jégado redevient alors, encore provisoirement, seule maîtresse à bord.

Le 17 mai 1851, une troisième femme de chambre, Rosalie Sarrazin, dix-neuf ans, fait son entrée dans la maison. Hélène Jégado s'autoproclame cheffe mais se heurte à son caractère bien trempé, contrastant avec la timidité de Françoise Huriau. Commence alors une guerre produisant son lot de décibels. Monsieur Bidard finit par prendre le parti de Rosalie Sarrazin, menaçant même Hélène Jégado de la renvoyer. Rosalie Sarrazin tombe malade dans la foulée, le 10 juin.

L'empoisonnement est cette fois considéré. Les médecins voudraient étudier les selles et vomissures de la malade, susceptibles de contenir des traces d'arsenic, mais Hélène Jégado s'empresse toujours de tout nettoyer. Monsieur Bidard en est réduit à embouteiller en cachette un échantillon le lundi 24 juin, dont aucune conclusion ne peut toutefois être tirée. Le lundi 1er juillet, Rosalie Sarrazin décède.

Aussitôt conduite, son autopsie confirme l'empoisonnement à l'arsenic, et le rend très probable pour Françoise Huriau et Rose Tessier. Une personne en a donc après les domestiques de cette maison. Mais pas toutes les domestiques, Hélène Jégado, dont l'arrivée coïncide avec le début des empoisonnements et dont les relations avec ses collègues étaient pour le moins tendues, se porte très bien.

Alertée, la police place Hélène Jégado en état d'arrestation. Rose Tessier est ensuite exhumée afin d'être autopsiée à son tour. Son empoisonnement est alors confirmé.

L'affaire semble donc résolue. Mais en fait, elle commence seulement.

L'arrestation d'Hélène Jégado fait grand bruit dans son Morbihan natal, où elle vivait encore trois ans plus tôt. Les langues se délient, notamment celles de ses anciens maîtres, en tout cas, ceux encore en vie...

Crimes d'Hélène Jégado

helene-jegado-crimes.jpg

1833-1841

En 1833, à 30 ans, Hélène Jégado entre comme cuisinière au service du Père Le Drogo, au presbytère de Guern. Du 28 juin au 3 octobre de la même année, sept personnes décèdent brutalement dans le presbytère, dont Anna Jégado, sa propre soeur.

Elle succède ensuite à sa soeur Anna au service du Père Lorho à Bubry. Trois personnes décèdent: la soeur et la nièce du Père Lorho, et une tante d'Hélène Jégado.

Elle entre alors comme apprentie blanchisseuse à Locminé chez Jeanne Leboucher. Peu après son arrivée, la mère et la fille de Jeanne Leboucher sont emportées par un mal foudroyant. Également touché, son mari se remet, sauvé par son aversion pour Hélène Jégado dont il refuse même la nourriture durant sa prétendue maladie.

Hélène Jégado annonce alors son départ et entre au service d'une veuve, Madame Lorcy, dont le décès survient rapidement, puis chez Madame Toursaint, à partir du 9 mai 1835, où quatre personnes succombent.

À ce stade, ayant a minima une douzaine de morts à son actif en seulement deux ans, Hélène Jégado commence à être soupçonnée ici et là d'assaisonner sa cuisine avec de bonnes doses d'arsenic. Elle se retire donc au couvent du Père-Éternel à Auray, afin de se faire oublier. Aucune mort n'est ainsi à déplorer durant cette période, en revanche, sa présence au couvent est marquée par des actes de vandalisme dont tout le monde la sait coupable, lui valant finalement, chose rare, d'en être chassée.

Hélène Jégado entre alors, le 3 décembre 1835, au service d'Anne Le Corvec dont le décès brutal après une simple indigestion ne passe pas inaperçu. Elle décide donc de disparaître, mais après avoir assisté aux funérailles d'Anne Le Corvec où elle feint d'être éplorée.

Elle réapparaît à Plummeret, au service d'Anna Lefur. Cette dernière ne tarde pas à tomber malade, mais d'excellente constitution, elle s'accroche. Ne pouvant la tuer discrètement avec de petites doses d'arsenic, Hélène Jégado démissionne, soi-disant pour se ressourcer au couvent du Père-Éternel à Auray dont elle connaît bien les occupants. Désormais libérée d'Hélène Jégado, Anna Lefur recouvre la santé. Une fois remise, elle apprend avec effroi par une amie les soupçons d'empoisonnement pesant sur Hélène Jégado, et par la suite, la véritable destination de son ancienne domestique: le bordel d'une garnison militaire où elle gagne sa vie d'une manière pas très catholique.

Elle trouve ensuite du travail auprès de Madame Hetel, mais à peine embauchée, elle est renvoyée, son employeuse étant alertée par son gendre dès les jours suivants de sa réputation d'empoisonneuse et de ses faits d'armes au couvent du père éternel. Tout en se félicitant de l'avoir congédiée à temps, Madame Hetel commence à avoir la nausée. Elle décédera peu après.

Désormais persona non grata à Plummeret également, Hélène Jégado reprend la route, s'installant cette fois à Pontivy où elle devient la cuisinière de Monsieur Jouanno, dont le fils Émile, quatorze ans, décède quelques mois plus tard après cinq jours d'agonie. Aussitôt renvoyée, elle trouve une place au service de Keraly d'Hennebont, dont la santé déjà fragile lui vaut de ne pas faire long feu. En décembre 1839, après le décès de Madame Veron, sa dernière employeuse, elle change une nouvelle fois de commune.

En mars 1841, désormais établie à Lorient, Hélène Jégado entre au service des époux Dupuy. Au mois de mai, ses maîtres lui annoncent le déménagement de la famille à la campagne, au Château de Soye ; ce projet lui déplaît et très culottée, elle le fait savoir. Mais ne lui en déplaise, ce déménagement aura lieu, et pourrait très bien se faire sans elle. Le jour du départ, la petite-fille des époux Dupuy souffre de vomissements répétés après le déjeuner. Le départ est maintenu, le bon air lui fera le plus grand bien. Le 30 mai, elle décède. Le 1er juin, toute la famille est malade. Seuls Monsieur Dupuy et sa fille survivront, de justesse, en mettant plusieurs années à se rétablir complètement.

Une pause dans les empoisonnements

helene-jegado-vannes.jpg

Suite à ce massacre familial, Hélène Jégado prend la direction de Vannes. Débute alors une période où elle semble maîtriser ses penchants meurtriers. Mais insolente, voleuse et portée sur l'alcool, elle s'avère incapable de conserver un emploi.

Elle trouve d'abord une place chez Marguerite Moguero, une marchande la faisant travailler au comptoir. De l'argent commence à disparaître du magasin, argent pourtant sécurisé dans un tiroir verrouillé dont Marguerite Moguero est la seule à avoir la clé. Mais un jour, Hélène Jégado, se croyant seule, est entendue ouvrir ce tiroir et manipuler l'argent. Car Hélène Jégado ne se réduit pas à son statut d'empoisonneuse ou à sa popularité dans les garnisons militaires, elle sait aussi très bien crocheter les serrures. Marguerite Moguero se contente de la renvoyer, ayant accepté de ne pas porter plainte, moyennant la restitution de dix francs, quarante dira plus tard Hélène Jégado.

Elle redevient ensuite domestique, entrant au service de Madame Bavalon le 26 juin 1846. Mise à la porte dix-huit mois plus tard, elle obtient, le 24 décembre 1847, une place dans la demeure de Madame Joubioux, où elle ne tiendra même pas l'hiver.

La période d'accalmie s'achève alors.

Fin de la pause

helene-jegado-rennes.jpg

Le 1er mars 1848, Hélène Jégado arrive à Rennes où elle enchaîne en peu de temps huit maisons différentes.

À ses trois premières employeuses, Mesdames Gaultier, Carrère et Charlet, elle se contente de voler du linge, du fil de soie et du vin.

Viennent ensuite les époux Rabot, à partir du 6 novembre 1849. Fin novembre, constatant une baisse anormale du niveau de sa barrique de vin, Monsieur Rabot interpelle sa domestique, l'ayant déjà vue chancelante. Hélène Jégado nie avec aplomb, feignant même se sentir outragée par une telle accusation. Il lui accorde en partie le bénéfice du doute: elle conserve sa place mais est désormais sous étroite surveillance. Le 29 novembre, son fils Albert, âgé de neuf ans, décède.

Le 3 février 1850, ne pouvant plus tolérer l'insolence de sa domestique avec son épouse et Madame Brière, sa belle-mère, Monsieur Rabot la renvoi. Hiver oblige, il lui accorde un sursis de dix jours pour trouver une place ailleurs. Le lendemain, son épouse se sent mal. À partir du 8 février, elle souffre le martyr et se trouve en grande partie paralysée. Madame Brière tombe également malade dans l'intervalle.

Nul ne soupçonne Hélène Jégado de les avoir empoisonnées. Les médecins se succédant au chevet de Madame Rabot envisagent même d'abord une grossesse. Pire encore, Monsieur Rabot propose à Hélène Jégado de finalement rester pour administrer les soins. Et elle accepte, puis se dédit, lui annonçant le 19 février s'en aller le 23. Les deux femmes se rétabliront après son départ, très laborieusement concernant l'épouse dont la paralysie subsistera plusieurs mois durant.

Le 25 février, Hélène Jégado entre au service des époux Ozanne. Cette fois, elle ne dérobe pas le vin mais l'eau-de-vie, et se fait rapidement surprendre complètement ivre. Très en colère, Monsieur Ozanne menace de la renvoyer. Son fils décède dans la foulée, Hélène Jégado démissionne alors précipitamment.

Elle se fait ensuite embaucher par Hippolyte Roussel, maître d'hôtel de l'hôtel du Bout-du-Monde. Hippolyte Roussel a pris la suite de sa mère, dans les faits toujours active en coulisse, secondée par une sorte de bras droit, Perrotte Macé. Une rivalité s'installe immédiatement entre Hélène Jégado et Perrotte Macé, notamment car Hélène Jégado lorgne le garçon d'écurie auquel Perrotte Macé accorde déjà ses faveurs, également en raison de la saleté d'Hélène Jégado. Perrotte Macé en est dégoûtée de devoir manger sa cuisine, et les clients commencent aussi à s'en plaindre. Madame Roussel la rappelle donc à l'ordre.

Le 18 juin, Madame Roussel est au plus mal. La paralysie la gagne les jours suivants. Elle décide alors de jeûner et finit par guérir, sans jamais cependant recouvrer toute sa mobilité.

Au mois d'août, c'est au tour de Perrotte Macé d'être malade. Persuadée d'avoir été empoisonnée par Hélène Jégado, elle lui interdit de l'approcher. Hippolyte Roussel veille au respect de cette volonté mais ne prend pas au sérieux l'accusation. Hélène Jégado lui prépare d'ailleurs toujours ses repas. Deux médecins se relaient en vain au chevet de la malade, eux non plus ne prennent pas au sérieux l'accusation. Perrotte Macé décède le 1er septembre. Les médecins souhaitent effectuer une autopsie, craignant d'avoir peut-être écarté un peu hâtivement l'empoisonnement, mais la famille Macé s'y oppose.

Cette fois, Hélène Jégado passe miraculeusement entre les gouttes. Toutefois, le 4 octobre, Hippolyte Roussel la surprend en train de se servir dans la cave à vin. Il s'en doutait mais ne l'avait jamais prise en flagrant délit. Renvoyée, elle profite de son départ pour dérober certains effets.

Le 19 octobre, Hélène Jégado entre au service de Théophile Bidard. Nous voici donc revenus au début de l'histoire.

Procès d'Hélène Jégado

helene-jegado-proces.jpg

Le procès s'ouvre le 6 décembre 1851.

Hélène Jégado fait face à dix-sept chefs d'accusation, sept pour empoisonnement en 1850 et 1851 et dix pour vol.

Les victimes d'empoisonnement sont, pour l'année 1850: Mesdames Brière, Rabot et Roussel, Perrotte Macé et Rose Tessier, et pour l'année 1851: Françoise Huriaux et Rosalie Sarrazin.

Les autres crimes ne sont pas jugés, soit par manque de preuves, soit en raison de la prescription des faits.

Maître Magloire Dorange, jeune avocat de 24 ans chargé de défendre Hélène Jégado, s'efforce de lui éviter la peine de mort. Pour ce faire, il plaide la folie. Hélène Jégado a grandi dans une Bretagne pétrie de légendes morbides, notamment celle de l'Ankou, serviteur de la mort dont les récits l'ont traumatisée à vie durant son enfance. Cette plaidoirie ne convainc pas grand monde.

Le 14 décembre, reconnue coupable de tous les chefs d'accusation après seulement une heure et quart de délibération, Hélène Jégado est condamnée à mort.

Après le procès

helene-jegado-confession.jpg

Le 25 février 1852, elle confesse en partie ses crimes à l'abbé Tiercelin, en le libérant du secret de la confession. Le lendemain matin, à sept heures, Hélène Jégado est guillotinée.

Son véritable palmarès est à ce jour inconnu. Vraisemblablement des dizaines d'empoisonnements, potentiellement davantage. Elle devait sa capacité à passer entre les mailles du filet pendant près de vingt ans à plusieurs facteurs.

Tout d'abord, Hélène Jégado avait beau être rustre et un brin ivrogne, elle semblait aussi relativement pieuse, faisant illusion en affichant une sorte de ferveur et en se rendant régulièrement à la messe. N'ayant ainsi pas spontanément le profil d'une meurtrière, elle pouvait empoisonner plusieurs personnes avant de seulement éveiller des soupçons, et dans ce cas, il lui suffisait de changer de commune pour repartir de zéro.

Mais surtout, Hélène Jégado ne mélangeait pas vol et assassinat. Certes elle chapardait mais le vol n'était jamais le mobile de ses empoisonnements. Nombre de ses victimes étaient pauvres ou mineures, et dans le cas contraire, elle ne faisait pas main basse sur l'argent, les bijoux et autres biens précieux. La piste criminelle n'était ainsi pas envisagée car le décès en lui-même n'était pas forcément suspect, les symptômes d'un empoisonnement à l'arsenic étant proches de ceux du choléra, maladie faisant alors des ravages en France.

Finalement, en raison du coup d'État de Napoléon III le 2 décembre 1851, la presse n'a pas fait grand cas de son procès. Hélène Jégado n'était ainsi pas une célébrité de son vivant, comme a pu l'être par exemple Martin Dumollard. Elle est pourtant l'une des pires tueuses en série de l'histoire de France.

Version vidéo

Sources de l'article

Boutique en ligne

Publié par Jean-Charles Pouzet sur Caedes le 31-10-2024

Commentaires des internautes

Cliquer ici pour publier un commentaire (aucune inscription requise)