Blanche Monnier, la Recluse de Poitiers, 1872-1901
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En résumé
- Année: 1872-1901
- Commune: Poitiers
- Département: Vienne
- Type: Séquestration / Maladie mentale
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Nous sommes le 22 mai 1901 à Poitiers. Le procureur général découvre une lettre anonyme commençant comme suit: "J'ai l'honneur de vous dénoncer un fait d'une exceptionnelle gravité. Il s'agit d'une demoiselle enfermée chez Madame Monnier, privée d'une partie de nourriture, vivant sur un grabat infect depuis 25 ans, en un mot dans sa pourriture.".
Louise Monnier, 75 ans, veuve de Charles-Emile Monnier, ancien doyen de la faculté de Lettres, est une vieille dame de la bourgeoisie royaliste. Cette dénonciation semble à la fois calomnieuse et ridicule, mais dans le doute, le procureur envoie la police.
La recluse de Poitiers
Le 23 mai au matin, une brigade se présente chez Louise Monnier au 21 rue de la Visitation afin d'inspecter les lieux, des faits troublants ayant été rapportés. Mais elle refuse, obligeant les policiers à forcer le passage. À l'intérieur, une odeur désagréable leur monte immédiatement au nez. À l'étage, l'odeur devient pestilentielle, particulièrement devant une chambre où un spectacle inoubliable les attend. Une femme nue, attachée, d'une crasse indicible, dont les cheveux et les ongles n'ont pas été coupés depuis des lustres, est retenue prisonnière. Sa maigreur est terrifiante, elle pèse 25 kg, et elle baigne dans un mélange d'excréments et de nourriture putréfiée régalant toutes sortes de vermines.
La captive est la fille de Louise Monnier, Blanche Monnier, 52 ans, emprisonnée ainsi, privée même de la lumière du soleil dans cette chambre calfeutrée, depuis les années 1870. Ils essaient de lui parler mais elle est très agressive et tient des propos incohérents. Blanche Monnier a perdu la raison.
Louise Monnier est arrêtée, tout comme son complice, son fils Marcel, 53 ans.
La mère plaide la folie, celle de sa fille, depuis bientôt trente ans. À 23 ans, elle s'est mise à se montrer nue à sa fenêtre, puis a développé un intérêt sordide pour ses excréments, a cessé de se laver, refusant aussi d'être lavée, et finalement de s'alimenter, daignant seulement avaler d'infimes portions de pâté et d'huîtres, en accumulant maladivement les coquilles au milieu de ses matières fécales. Le décès paternel en 1882, mal vécu, lui a coûté ses derniers éclairs de lucidité. Marie Poinet, la bonne, s'est longtemps occupé d'elle, mais sa mort en 1896 a laissé un vide. Les bonnes actuelles, Juliette Dupuis et Eugénie Tabeau, la négligent.
L'affaire sidère le tout-Poitiers. La presse s'en empare, même à l'internationale, faisant de Blanche Monnier la célèbre "Recluse de Poitiers".
Louise Monnier décédera le 8 juin, échappant ainsi à son procès. Jugé pour complicité, Marcel Monnier affirmera pour sa défense, témoignage d'une ancienne bonne à l'appui, avoir voulu faire interner sa soeur, mais sa mère l'en empêchait, tenant à garder son état secret pour préserver l'honneur de la famille. Par ailleurs sévèrement myope et atteint d'anosmie (absence d'odorat), la gravité de la situation lui apparaissait seulement en partie. Condamné à 15 mois de prison le 11 octobre 1901 par le tribunal correctionnel de Poitiers, Marcel Monnier sera relaxé le mois suivant lors de son procès en appel, n'ayant en fait rien à se reprocher aux yeux du droit. Il n'a pas participé à l'emprisonnement de sa soeur, il l'a simplement laissé faire, et la non-assistance à personne en danger n'existe pas encore. Une fois relaxé, il s'empressera de vendre les biens familiaux, à l'exception de la résidence principale, invendable, et d'une résidence secondaire à Migné, dans l'Indre, où il aime séjourner ; puis s'exilera dans le sud-ouest, décédant durant un séjour à Migné en 1913, à 65 ans.
Blanche Monnier finira sa vie dans un asile à Blois, sans jamais vraiment recouvrer la raison, mais en faisant des progrès. L'appétit reviendra, elle se mettra même à adorer les fruits, notamment les fraises, et naguère férue d'horticulture, les médecins parviendront par ce biais à établir une forme de dialogue, faisant ainsi disparaître son agressivité. Elle s'avérera d'ailleurs toujours capable d'identifier les fleurs et adorera s'en faire offrir. Blanche Monnier décédera en 1913, comme son frère, à 64 ans.
Ironie du sort, les deux bonnes négligentes sont certainement à l'origine du sauvetage de Blanche Monnier. Juliette Dupuis et Eugénie Tabeau recevaient en douce des hommes la nuit venue, l'un d'eux a dû la découvrir en parcourant la maison, et a écrit au procureur.
L'amant républicain de Blanche Monnier
Une autre version a été relatée par la presse.
Blanche Monnier aurait eu dans sa jeunesse une liaison avec un certain Victor Calmeil, avocat, mais surtout républicain farouche et protestant, un ennemi mortel pour des royalistes comme les Monnier. La perspective d'un mariage leur apparaissant comme une abomination, les époux Monnier auraient emprisonné leur fille. Enfermée, torturée, au nom de la pureté légitimiste, Blanche Monnier aurait sombré dans la démence.
Cette version a tout d'une affabulation de la propagande républicaine, dont les architectes ne reculaient devant aucun coup bas pour affaiblir le camp royaliste. Dans un deuxième temps, cette fiction a même été agrémentée d'une histoire d'enfant assassiné à la naissance et enterré dans le jardin.
Ceci dit, l'état de Blanche Monnier n'était pas sans lien avec sa famille.
Souffrant vraisemblablement d'anorexie, de schizophrénie et du syndrome de Diogène (accumulation compulsive et insalubrité), en plus d'être exhibitionniste et coprophile (attirance pour les excréments), Blanche Monnier devait certainement, en partie au moins, son état à sa mère. Louise Monnier n'a pas seulement aggravé son cas en lui déniant les soins nécessaires, elle lui a aussi fait vivre une enfance traumatisante, régnant telle une despote sur la maisonnée dans une atmosphère putride née de son insalubrité maladive. La matriarche était de surcroît elle-même nauséabonde, ne se lavant jamais, portant toujours les mêmes vêtements sales. Résigné, son mari passait le moins de temps possible en famille, la laissant ainsi perturber à sa guise leurs deux enfants, car si Marcel Monnier n'a pas perdu la raison comme sa soeur, il est lui aussi devenu coprophile ; ses bonnes devaient par exemple attendre la saturation de son pot de chambre pour le nettoyer, leur maître se délectant de le voir se remplir, et une fois plein, il paradait avec et jouissait de le faire sentir à sa femme.
Version vidéo
Sources de l'article
- La séquestrée de Poitiers
- Une affaire pestilentielle
- 23 mai 1901: découverte de Blanche Monnier, enfermée pendant 25 ans dans le noir
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Publié par Jean-Charles Pouzet sur Caedes le 24-01-2025