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Eugénie Fougère - Le crime d'Aix-les-Bains

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Eugénie Fougère

En résumé

Nous sommes durant l'été 1903 à Aix-les-Bains, paradis estival de la bonne société. Industriels, financiers, aristocrates et artistes célèbres s'y retrouvent, et autour de ces vacanciers fortunés, gravitent des femmes légères faisant profession du statut de maîtresse: les demi-mondaines. Elles sont jeunes, belles, pleines d'esprit, et si l'on a les moyens de les entretenir, elles savent se montrer reconnaissantes, sans cette pudeur de violette propres aux épouses de bonne famille.

L'épicentre de cette zone de chasse des demi-mondaines est le fameux Casino d'Aix-les-Bains où les jeux d'argent sont étroitement liés aux jeux de séduction, sans oublier le restaurant, la salle de bal et le théâtre à l'italienne, comme si tout a avait été conçu pour leur faciliter la tâche.

Parmi elles se trouve la célèbre Eugénie Fougère, une habituée d'Aix-les-Bains où elle passe ses étés depuis des années. Mais celui de 1903 sera son dernier. La saison se terminant, Eugénie Fougère et sa femme de chambre sont retrouvées assassinées. Les deux femmes ont été ligotées, bâillonnées, puis étranglées. La demoiselle de compagnie d'Eugénie Fougère a survécu, mais elle a tout vu et subit des sévices indicibles. Traumatisée par une nuit d'horreur, elle ne s'en remettra probablement jamais.

Le mobile du crime est évidemment le vol, Eugénie Fougère était connue pour être une bijouterie ambulante et pas le genre à porter de la camelote. Le plus insignifiant de ses bracelets vaut déjà une petite fortune, ses plus belles pièces valent des dizaines de milliers de Francs. Et en effet, tout a disparu.

L'assassinat d'Eugénie Fougère

Ces bijoux lui viennent de ses années de gloire. Originaire de la Creuse, elle arrive à Paris âgée d'une vingtaine d'années durant la fin des années 1880 et entame une carrière de modèle. Divinement belle, elle devient rapidement une égérie, prenant un peu la place laissée vacante par la célèbre Virginia de Castiglione, à la retraite depuis la fin des années 1870. Devenant une habituée des soirées mondaines, elle côtoie le tout-Paris ; issue d'un milieu très modeste, fille de tisserand, elle découvre avec bonheur tout le raffinement de la France des crinolines, des petits fours, du champagne, d'hommes instruits devisant savamment... et voyant ces messieurs fortunés se faire la guerre pour ses beaux yeux, elle prend conscience du pouvoir entre ses mains. Elle accorde aux plus riches d'entre-eux le privilège, car c'en est un, de rejoindre le cercle de ses amants, dont la cotisation est élevée. Argent, bijoux, vêtures... il lui suffit de vouloir pour avoir. Eugénie Fougère est désormais une demi-mondaine.

Surnommée Fou-Fou, parfois aussi Nini ou Bâton de réglisse, en raison de son teint délicieusement halé, sa notoriété ignore tout des frontières ; la fierté de s'adonner à la bagatelle avec une telle icône justifiant les plus grandes largesses. Reine du demi-monde, Eugénie Fougère adopte un train de vie fastueux. Elle passe le printemps et l'automne dans son hôtel particulier du VIIIe arrondissement de Paris, où un valet, une femme de chambre et une cuisinière pourvoient à tous ses besoins, l'hiver entre Nice et Monaco et l'été à Aix-les-Bains, où elle a pour habitude de louer le célèbre Chalet de Solms.

Mais corrélé à sa jeunesse, son règne s'achève avec le XIXe siècle. En 1903, Eugénie Fougère, 42 ans désormais, est esseulée ; évincée par des rivales dans la fleur de l'âge, elle n'a plus aucun protecteur. Percluse de dettes, elle a considérablement réduit son train de vie, vendu certains biens pour solder ses créances les plus pressantes, et s'apprête à fuir à Aix-les-Bains avant d'être acculée par ses autres créanciers, ayant encore à Paris beaucoup d'ardoises. Les ressources ne lui font pourtant pas défaut. Elle possède toujours de nombreux objets de valeur, notamment ses bijoux, à eux seuls un véritable trésor ; en vendre seulement une partie suffirait certainement à couvrir toutes ses dettes (leur valeur est estimée à 100 000 francs, environ 450 000 euros), mais à moins d'y être obligée, elle ne s'y résoudra pas.

La veille de son départ pour Aix-les-Bains, tout en finissant de préparer ses 14 malles avec Lucie Maire, sa femme de chambre, Eugénie Fougère reçoit la visite impromptue de Rosalie Giriat, ancienne camarade de jeunesse, aujourd'hui aux abois. Les deux femmes se remémorent le passé, se confient leurs déboires, puis Eugénie Fougère lui propose de devenir sa demoiselle de compagnie et de la suivre à Aix-les-Bains loin de leurs ennuis respectifs. Il lui reste encore 8000 francs des 50 000 donnés par son dernier protecteur, assez pour tenir un bon moment, et une fois ce magot épuisé, vendre un seul de ses nombreux bijoux la renflouera. Rosalie Giriat s'empresse d'accepter.

Eugénie Fougère arrive à Aix-les-Bains à la fin du mois de mai, comme à l'accoutumée au Chalet de Solms, dont elle ne s'éloigne jamais bien longtemps, toute sa fortune s'y trouvant, sans négliger pour autant sa vie mondaine, ayant malgré tout une réputation à défendre, surtout à Aix-les-Bains où tout le monde la connaît, et l'espoir de se dégotter un nouveau bienfaiteur, n'étant pas non plus grabataire. Rosalie Giriat s'occupe de tout, organiser les loisirs, les rendez-vous avec le coiffeur, la tisane du soir... bref, la demoiselle de compagnie.

Mais Rosalie Giriat s'occupe aussi de préparer un mauvais coup: le vol des bijoux. Elle les sait très vulnérables dans une mallette cadenassée, une occasion pareille ne se représentera jamais. Un plan devant lui permettre d'échapper à tout soupçon a été élaboré, il reste maintenant à recruter un homme de main ; son amant, Henri Bassot, s'y atèle dans l'ombre. En attendant, elle fait bonne figure.

Le 10 septembre, César Ladermann arrive de Lyon et se tient prêt. Le 19 septembre au soir, Rosalie Giriat le retrouve derrière le Casino d'Aix-les-Bains, c'est pour ce soir. Eugénie Fougère est en ce moment au théâtre du Casino d'Aix-les-Bains, les deux femmes assistent à une pièce, et profitant de l'entracte, Rosalie Giriat vient récapituler une dernière fois le plan. César Ladermann doit courir au Chalet de Solms et se cacher près de la grille. De retour au chalet, Rosalie Giriat servira à Eugénie Fougère comme tous les soirs une tisane en y ajoutant pour l'occasion une dose de laudanum. Une fois la demi-mondaine profondément endormie, elle subtilisera ses bijoux et viendra les lui remettre à la grille du chalet, il devra alors livrer le butin à Paris à Henri Bassot. Pendant ce temps, elle retournera au chalet, se couchera, et le jour suivant, apprendra avec effroi le vol des bijoux durant la nuit. Ni vue, ni connue. Mais rien ne va se passer comme prévu. Peu après le retour des deux femmes, Rosalie Giriat fait rentrer César Ladermann, il voit alors Eugénie Fougère et Lucie Maire ligotées et bâillonnées, elle lui désigne l'emplacement des bijoux puis étrangle les deux femmes. Elle demande ensuite à être ligotée, prévoyant de se faire passer pour la seule survivante. Mis devant le fait accompli, César Ladermann s'exécute, ne pouvant plus reculer.

La scène de crime est découverte le jour suivant par le coiffeur d'Eugénie Fougère. Rosalie Giriat révèle à cette occasion de grands talents de comédienne, admirable dans le rôle de la victime traumatisée par des sévices indicibles et les deux meurtres dont elle a été témoin, se montrant hélas incapable d'identifier les assaillants. Non seulement le procureur ne la soupçonne aucunement, mais en plus, son sort en émeut plus d'un, une souscription lui permet même de recevoir 750 francs de dons pour l'aider dans cette épreuve ; l'air de rien, un an de gages d'une servante très bien payée, comme l'était Lucie Maire, rétribuée 60 francs par mois. Mais un homme n'est pas dupe, et pas des moindres, le chef de la sûreté, Monsieur Hamard. Il connaît bien Rosalie Giriat, il la sait de petite vertu, avec un passé douteux et liée à des gens peu recommandables. Contrairement au procureur, il a donc bien l'intention d'explorer cette piste. Rosalie Giriat est prise en filature partout où elle va, aucun de ces faits et gestes ne lui échappe.

Cette surveillance va donner raison à monsieur Hamard et permettre d'identifier les deux complices dès l'automne.

Le tout étant suivi religieusement par la presse. Eugénie Fougère fut tout de même une icône de la fin du XIXe siècle, nous sommes seulement en 1903, le "Crime d'Aix-les-Bains" passionne donc les français.

Procès

Le procès s'ouvre le 1er juin 1904.

L'assassinat d'Eugénie Fougère et de Lucie Maire a été mené par un trio pour le moins hétéroclite, pouvant être résumé ainsi: le bon, la brute et le truand.

Le bon est César Ladermann. Ce lyonnais, ouvrier-tailleur très modeste, s'était fait proposer à l'origine le rôle d'exécutant principal, à savoir étrangler Eugénie Fougère et Lucie Maire puis amener les bijoux à Paris à Henri Bassot. Rosalie Giriat devait seulement l'introduire dans le chalet et se faire passer pour une victime. Mais César Ladermann refusant d'assassiner ou d'être complice d'un assassinat, a fortiori double, et ceux approchés pour le remplacer ayant tous décliné l'offre en raison de la célébrité d'Eugénie Fougère, les rôles ont été redistribués. Très forte pour une femme, Rosalie Giriat a endossé celui d'étrangleuse, César Ladermann a accepté le transport des bijoux, dupé par un nouveau plan permettant soi-disant de ne pas tuer. Mis devant le fait accompli le jour J, César Ladermann a très mal vécu la situation, n'étant pas un mauvais bougre, simplement un homme aux abois voulant offrir aux siens une vie meilleure. Suite au crime, une avance de 100 francs lui a été remise, entamée dès le lendemain à Collonges-au-Mont-d'Or chez Bocuse, alors tenue par le grand-père de Paul Bocuse, afin d'offrir un bon repas au Champagne à Olympe Duclos dont il était éperdument amoureux. Un mois plus tard, les policiers s'apprêtant à franchir sa porte, il s'est tiré une balle en pleine tête.

La brute est évidemment Rosalie Giriat, une femme dont on sait peu de choses, mais dont le passé comporte un épisode intéressant. Elle fut naguère demi-mondaine, et a connu ainsi Eugénie Fougère, les deux femmes s'étant côtoyées à leurs débuts. Contrairement à Eugénie Fougère, Rosalie Giriat n'a jamais percé. Elle a brièvement touché du doigt la réussite en devenant la maîtresse d'un avocat devant lui servir de tremplin, mais il l'a éconduite sans lui avoir laissé le temps de tisser sa toile, voulant faire le ménage dans sa vie avant de se marier. Le prenant très mal, Rosalie Giriat a menacé de montrer ses lettres enflammées à sa fiancée s'il ne lui versait pas 20 000 francs, mais le chantage a échoué, la police a été prévenue et l'a obligée à restituer les lettres. Trop âgée pour tout recommencer, elle a renoncé au demi-monde dont Eugénie Fougère était devenue la reine.

Passons maintenant au truand, Henri Bassot. Né dans une bonne famille lyonnaise, il a profité d'une enfance bourgeoise et un temps d'une vie d'adulte sous le signe de la prodigalité grâce à l'argent de son père, n'étant lui même bon à rien, sinon à gagner 3 francs 6 sous comme petit escroc, ayant bien sûr connu la prison. Finalement ruiné par de mauvais placements, son père s'est donné la mort, faisant plonger son fils dans une grande détresse, non pas morale mais financière. Pianiste émérite, sa mère s'est mise à donner des leçons de piano pour gagner sa vie ; devenant une professeure réputée la gagnant très bien, elle a pu donner à son tour de l'argent à son fils, mais rien de comparable avec la générosité paternelle. Henri Bassot était donc à la recherche d'un gros coup, finalement amenée sur un plateau par sa maîtresse, Rosalie Giriat. Au printemps 1903, elle lui annonce son départ imminent pour Aix-les-Bains avec la célèbre Eugénie Fougère, tous ses bijoux, et pour tout personnel de maison seulement une femme de chambre. Une opportunité en or, littéralement.

Finalement, se trouve en retrait un second couteau, Charles Robardet. Henri Bassot lui avait confié la vente de certains bijoux. Il s'était donc présenté chez Monsieur Béal, bijoutier à Neuville-sur-Saône pour faire expertiser un solitaire, un diamant monté seul sur une bague. Seulement voilà, Charles Robardet est un miséreux, un peu chapardeur sur les bords, dès lors, le voir en possession d'une bague pareille, valant au bas mot 5000 francs, était évidemment suspect. Aussitôt après la fermeture, le bijoutier a couru alerter les gendarmes. Ils se sont rendus chez Charles Robardet, ont trouvé les bijoux en sa possession et l'ont placé en état d'arrestation. Les bijoux ont rapidement été identifiés comme ceux d'Eugénie Fougère, d'autres encore ont été retrouvés chez divers bijoutiers, mais aucun n'a reconnu Charles Robardet. Il n'était donc pas le seul receleur, mais nul autre ne fut identifié.

Reconnue coupable des deux meurtres, Rosalie Giriat est condamnée à 15 ans de travaux forcés. Considéré comme le cerveau de l'affaire, Henri Bassot écope de 10 ans. Charles Robardet est condamné à 3 mois de prison.

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Sources de l'article

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Publié par Jean-Charles Pouzet sur Caedes le 02-12-2025

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