Jeanne Bédouret - Sorcière malgré elle
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En résumé
- Année: 1850
 - Commune: Camalès
 - Département: Hautes-Pyrénées
 - Arme: Feu
 - Sexe: Homme
 
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Nous sommes fin avril 1850 à Camalès, village de 500 âmes environ des Hautes-Pyrénées. Le printemps bat son plein, le temps est à la bonne humeur, sauf chez les époux Subervic.
Baptiste Subervic est laboureur, il est donc un paysan aisé, propriétaire de sa ferme, exploitée avec le concours de son épouse Jeanne-Marie et ponctuellement de journaliers, notamment durant la moisson. Tout semble donc aller pour le mieux, mais ces derniers temps, les ennuis s'accumulent.
Sa fille de 13 ans se remet tout juste d'une longue maladie et c'est désormais au tour de sa femme d'être malade, l'obligeant à gérer seul la ferme. Il a beau être une force de la nature, ayant tout de même 57 ans, il lui tarde de la voir recouvrer la santé. Pour couronner le tout, sa meilleure vache laitière vient de mourir brutalement, sans raison apparente, et l'air de rien, elle rapportait 20 sous par jour.
Monsieur s'épuise donc à la tâche, pendant ce temps, Madame rumine dans son lit, et plus elle rumine, plus elle voit dans les malheurs accablant son foyer, les maléfices d'une sorcière...
Jeanne Bédouret accusée de sorcellerie
Jeanne-Marie Subervic repense à cette tireuse de cartes consultée en désespoir de cause pour la maladie de sa fille, les médecins n'arrivant à rien.
La voyante s'était montrée formelle, sa fille était victime d'un mauvais sort pouvant être conjuré en faisant dire deux messes. Et en effet, aussitôt les messes dites, elle était guérie. La personne à l'origine de ce mauvais sort restait cependant un mystère devenu l'obsession de Jeanne-Marie Subervic durant sa convalescence. Et elle pense l'avoir percé. Juste avant de tomber malade, sa fille a mangé une pomme donnée par leur voisine, Jeanne Bédouret.
Et d'autres coïncidences troublantes lui reviennent. Jeanne Bédouret lui a récemment dit en la croisant "Ah ! Vous vous portez joliment." Comme par hasard, le jour suivant, elle tombait malade à son tour. Finalement, la veille du décès de leur vache laitière, Jeanne Bédouret, encore elle, venait leur demander des pommes de terre ; en réalité, elle ensorcelait leur vache, c'est désormais évident.
Jeanne Bédouret n'a pourtant pas l'air bien dangereuse du haut de ses… 80 ans ! Il faut même des trésors d'imagination pour voir en elle une sorcière. Elle prend soin de son mari alité, travaille encore parfois ici ou là malgré son âge, les Subervic l'ont d'ailleurs déjà employée pour la moisson, et elle partage bien volontiers le peu dont elle dispose, par exemple, les fruits de son modeste verger.
Mais Jeanne-Marie Subervic n'est pas dupe. Sous ses dehors de mamie adorable et d'épouse dévouée se cache une sorcière jouissant de les tourmenter ! Elle demande donc à son mari d'agir, il faut obliger Jeanne Bédouret à lever son sortilège, et son mari se laisse convaincre.
Le 30 avril, il invite Jeanne Bédouret chez eux. Connaissant les Subervic depuis longtemps, elle s'y rend bien volontiers. À peine rentrée, le piège se referme. Baptiste Subervic verrouille la porte et l'empoigne.
- Tu as donné du mal à ma femme par tes maléfices. Il faut que tu la guérisses ! Tout de suite !
- Miséricorde, que dites-vous ? Mais comment voulez-vous que j'aie rendu malade votre femme ?
- Allons, pas tant de raisons, veux-tu la guérir, oui ou non ?
- Que voulez-vous que je fasse, mon Dieu ? Ah, si je pouvais, je n'hésiterais pas, mais encore une fois, je ne puis rien, je ne sais rien.
- Ah, tu refuses ?! Tu refuses ! Et bien, nous allons voir. Regarde ce bois, nous allons en chauffer le four qui est là, et quand il sera bien chaud, je vais t'y enfermer toute vivante !
Et il le fait…
Il met du bois, l'allume et le regarde prendre, sous les yeux médusés de Jeanne Bédouret. Il n'osera pas, la raison va lui revenir. Mais non. Aussitôt le four chaud, il attrape la vieille femme et l'enfourne par les jambes. Ses hurlements ne lui inspirent aucune pitié. Arrivé à la taille il doit s'arrêter, le four n'est pas assez grand, en plus des cris, les Subervic voient donc très bien son visage se déformant sous la douleur. Baptiste Subervic lui répète de lever son sortilège, mais elle lui crie ne pas être une sorcière. Il décide donc de la tuer pour rompre la malédiction. Il la sort du four et l'enfourne à nouveau, cette fois tête la première. Jeanne Bédouret se débat alors férocement et parvient miraculeusement à se libérer.
Il déverrouille la porte et lui dit de déguerpir, mais avant de la laisser partir, il sort le tisonnier des flammes et meurtrit son visage.
Grièvement blessée, Jeanne Bédouret se rend à Pujo, commune à environ 1,5 km de distance. Dieu seul sait où elle trouve la force, mais elle la trouve. Arrivée à Pujo, elle se rend chez des parents horrifiés de la voir dans un état pareil. Les premiers soins sont prodigués, et bien sûr, Jacques Dulaur, le juge de paix est immédiatement prévenu. Il se rend à son chevet, recueille son témoignage, et s'empresse d'aller interroger les Subervic, finalement placés en état d'arrestation.
Pendant ce temps, Jeanne Bédouret vit un véritable cauchemar, ses jambes lui causent d'horribles souffrances, comme si elles n'étaient jamais sorti des flammes, au point de demander constamment à être amputée des jours durant, en décédant finalement le sixième jour.
Le procès des Subervic
Le procès s'ouvre le 4 juin 1850.
À la colère suscitée par l'horreur du crime, se mêle une jubilation mal placée, la France urbaine se délectant à l'occasion de ce procès d'humilier la ruralité dont sont issus les Subervic, devenus malgré eux les ambassadeurs d'une France présentée comme moyenâgeuse et peuplée de simples d'esprit.
Les interrogatoires des Subervic sont ainsi des prétextes pour les faire s'épancher telles des bêtes de foire sur la sorcellerie, car ils assument tout et n'en démordent pas, Jeanne Bédouret était une sorcière ; face à un auditoire ne cachant pas son amusement, en dépit du crime abominable les ayant conduit sur le banc des accusés.
Les journalistes s'en donnent aussi à coeur joie, entre "l'ignorance de ces paysans" (La Petite Gazette de Bagnères-de-Bigorre, 11 juin 1906), les "sots préjugés qui ont cours dans les campagnes" et les "stupides auteurs de cet homicide" (Le droit – Journal des tribunaux, 16 juin 1850) ou encore: "Il me semble que, dans les localités montueuses et reculées surtout, il reste une couche beaucoup trop épaisse encore de l'ignorance du bon vieux temps" (Le Courrier du Gard, 28 août 1851).
Si la guillotine apparaît comme l'issue inévitable de ce procès, en réalité, les Subervic vont s'en sortir à très bon compte, sauvés par ce mépris généralisé influençant même les magistrats et les membres du jury, tous les considérant, non pas comme des adultes responsables mais plutôt comme des enfants ayant besoin d'une punition.
Les Subervic sont donc reconnus coupables de "coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner", l'infraction criminelle la plus légère, et condamnés à seulement quatre mois de prison. Des dommages et intérêts devront également être versés au mari de Jeanne Bédouret, sous la forme d'une rente annuelle viagère de 25 francs ; une somme certes importante, mais destinée à un homme âgée, mourant et privé des soins de son épouse, cette rente ne pèsera pas longtemps sur le budget des Subervic...
Ils seront donc bientôt libérés, et retrouveront leur ferme dont leurs quatre enfants se seront occupés en leur absence, reprenant ainsi leur vie comme si de rien n'était, possiblement sans même avoir eu le temps de faire son premier versement à Monsieur Bédouret.
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Sources de l'article
- Le Droit - Journal des tribunaux: édition du 16 juin 1850
 - La Petite Gazette de Bagnères-de-Bigorre: édition du ? juin 1905
 - Courrier de Tarn-et-Garonne: édition du 11 juin 1851
 - Courrier du Gard: édition du 28 août 1851
 - Société Académique des Hautes-Pyrénées: pages 602-603
 
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Publié par Jean-Charles Pouzet sur Caedes le 03-11-2025
