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Le château hanté des noyers, 1875-1877

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Le château hanté des noyers

En résumé

Nous sommes durant les années 1830 au Tourneur, commune du Calvados de 1800 habitants environ, longtemps dominée par le Château des Noyers. Propriété de la famille de Baudre, ce château a été ravagé par un incendie d'origine inconnue. Déjà vétuste avant l'incendie, l'édifice du XIVe siècle était trop dégradé après ses ravages pour envisager une remise en état. Madame de Baudre, la propriétaire, a donc fait ériger un nouveau Château des Noyers une centaine de mètres plus loin avec les pierres de l'ancien, chantier désormais en voie d'achèvement.

Ce nouveau Château des Noyers, plus modeste, plutôt un manoir en réalité, est une belle demeure sur deux étages où madame de Baudre vivra une trentaine d'années.

Après son décès, étant la dernière des de Baudre, son château et sa fortune reviennent à un cousin: Ferdinand Lescaudey de Manneville. Âgé d'à peine trente ans, il emménage en 1867 avec sa femme Pauline, vingt-six ans, et Maurice, leur fils d'un an ; sans rien savoir de l'histoire du château.

Le Château des Noyers est le théâtre de phénomènes étranges, parfois spectaculaires, dont personne ne pourrait dater le commencement, sévissant déjà depuis des lustres au temps de l'ancienne bâtisse. Les tournerais en sont tous persuadés, le château est hanté, peut-être même pire, possédé...

Le château hanté des Noyers

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Ferdinand Lescaudey de Manneville ignore tout de la situation. Il emménage donc le coeur léger avec femme et enfant, embrassant bien volontiers la vie heureuse et cossue promise par un tel héritage. Mais dès le mois d'octobre 1867, d'étranges manifestations viennent perturber la vie de la famille sous la forme de bruits nocturnes à la fois intimidants et inexplicables. Le chef de famille s'efforce d'en trouver l'origine rationnelle, se devant de rassurer au plus vite son épouse. Mais finalement, assez rapidement, les bruits cessent, permettant ainsi à la famille de couler des jours heureux… du moins pendant huit ans.

Huit années paisibles plus tard, en 1875, le Château des Noyers se réveille à nouveau, encore une fois en octobre, et seulement la nuit... en tout cas dans un premier temps. Ferdinand Lescaudey de Manneville commence alors la rédaction d'un journal de bord, consignant religieusement, jour après jour, les manifestations de la nuit précédente ; journal dont les meilleures pages sont à la base de ce récit.

Le Château des Noyers est alors habité par huit personnes: les deux châtelains, leur fils de neuf ans désormais, l'abbé de Cussy, son précepteur, et le personnel du château composé d'Émile, le cocher, Auguste, le jardinier, Amélina, la femme de chambre, et Célina, la cuisinière.

Le châtelain place toute sa confiance dans son personnel et l'abbé de Cussy, à ses yeux, et sans le moindre doute, tous irréprochables.

Journal de bord de Ferdinand Lescaudey de Manneville

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13 octobre 1875

En fin de soirée, l'abbé de Cussy ne peut trouver le sommeil, très troublé par des mouvements inopinés de son fauteuil. Prévenu, Ferdinand Lescaudey de Manneville se rend dans sa chambre, réalise une cartographie précise des objets et fixe au sol le fameux fauteuil avec du papier gommé, puis lui donne pour instruction de revenir le chercher en cas de récidive. Vers 21h45, finalement endormi, l'abbé est réveillé par des coups frappés contre son mur, le mécanisme d'une grosse horloge et des grincements d'objets en ferraille. Il voit ensuite du coin de l'oeil le fauteuil se déplacer d'un mètre et se tourner pour face à la cheminée. Effrayé, l'abbé ne peut ni sortir de son lit, ni crier. Il saisit alors une sonnette et avertit ainsi le châtelain. Celui-ci accourt et passe vingt minutes à étudier la chambre, comparant tous les emplacements avec ses notes. En plus du fauteuil, les deux flambeaux de la cheminée et une statue ont été déplacés. Plus tard dans la nuit, l'abbé entendra encore deux coups violents frappés au pied de son lit, d'ailleurs, tout le monde les entendra, étant assez puissants pour résonner dans tout le château.

14 octobre 1875

Un vacarme terrible retentit au beau milieu de la nuit dans le Château des Noyers, il s'agit clairement d'une intrusion. Les hommes s'arment aussitôt et fouillent intégralement le château. Mais il ne trouvent ni intrus ni explication.

15 octobre 1875

Vers vingt-deux heures, Amélina, la femme de chambre, et l'abbé de Cussy, alors en pleine discussion, entendent les époux Lescaudey de Manneville se rendre dans leur chambre en bavardant. Ils sont en fait déjà couchés depuis longtemps. Environ une heure plus tard, une série de coups violents provenant de la chambre verte réveille tout le château. Assisté d'Auguste, le maître des lieux s'y rend mais ne voit rien. Les deux hommes fouillent alors tout le château, comme la veille. Durant l'inspection du salon, ils entendent d'autres coups, provenant cette fois de la lingerie. Ils y courent, mais une fois de plus… rien. Pendant ce temps, la maîtresse de maison et Amélina entendent le déplacement puis la chute d'un meuble au second étage, où personne ne se trouve.

Durant la journée, à la recherche d'un regard neuf, Ferdinand Lescaudey de Manneville expose la situation au vicaire de la paroisse et lui demande de bien vouloir séjourner deux ou trois jours au château afin de constater par lui-même. Le vicaire, sans doute pas mécontent de se voir offrir ces nuitées au Château des Noyers, s'empresse d'en accepter l'augure.

16 octobre 1875

Vers minuit trente, un nouveau vacarme conduit à une nouvelle fouille armée du château, cette fois encore, sans explication. Le vicaire prend alors toute la mesure de la situation.

18 octobre 1875

Vers vingt-trois heures, la maisonnée est réveillée parle la chute d'une énorme boule pesante dévalant l'escalier, sautant de marche en marche. Un coup violent retentit ensuite, suivi de plusieurs plus discrets. En plus du vicaire, un certain Marcel passe également la nuit au château.

19 octobre 1875

Le curé, incrédule, vient dormir au château afin de tirer l'affaire au clair. Durant la nuit, des pas lourds et lents sont entendus dans l'escalier, où pourtant, personne ne se trouve. Comme la veille, un coup violent retentit ensuite, suivi de plusieurs plus discrets. Ébranlé, le curé ne doute plus, ne dort plus et se carapate au petit matin. Le dénommé Marcel prend également ses jambes à son cou.

Les nuits suivantes sont d'un calme salutaire. Chacun au château est à cran et manque cruellement de sommeil, Ferdinand Lescaudey de Manneville ne se sépare plus de son pistolet et vient même de se procurer deux chiens de garde. Au moins pour le moment ils peuvent dormir, d'un oeil, certes, mais dormir.

30 octobre 1875

Après une dizaine de jours de répit, des coups retentissent dans la nuit. Un retour tout en sobriété comparé aux précédentes manifestations, mais en réalité, le calme avant la tempête.

31 octobre 1875

Une course folle est entendue dans les escaliers. Plusieurs coups d'une puissance inouïe sont ensuite frappés au niveau du palier, les objets suspendus aux murs en vacillent. Et un objet très lourd, telle une enclume ou une poutre, semble finalement avoir été lancé contre un mur. Réunis au premier étage, les habitants du Château des Noyers sont terrifiés. Il est décidé d'inspecter le château en restant groupé, même si, tout le monde le sait bien désormais, l'inspection ne donnera rien. L'intrusion est évidente mais elle n'est ni humaine ni animale. Chacun repart ensuite se coucher, mais personne ne dort car les manifestations reprennent aussitôt, s'arrêtant seulement vers trois heures du matin.

4 novembre 1875

Juste avant de se coucher, Ferdinand Lescaudey de Manneville est interpellé par Auguste, venu lui signaler des coups provenant du deuxième étage. Il monte aussitôt avec lui, et Armand, le frère d'Amélina, mais le silence règne désormais. Les trois hommes attendent un peu et au bout de plusieurs minutes, des coups se font entendre dans la chambre rouge. Ils se tiennent justement devant, venant de la fouiller, et sa porte est grande ouverte, personne n'a donc pu y entrer, en sortir ou s'y agiter, sans être vu, et revérifiée, elle est bel et bien vide.

10 novembre 1875

À une heure du matin, une galopade se fait entendre dans le vestibule et l'escalier, suivie d'un coup provenant du palier, puis un autre, sur la porte de la chambre verte. Pendant ce temps, dehors, le temps est à l'orage. Le vent, les éclairs et le tonnerre ajoutent une théâtralité dont chacun se serait bien passé. Vingt minutes plus tard, la porte de la chambre verte se ferme brutalement, puis une série de coups sont frappés sur les murs et la porte de cette même chambre, suivis de lents tapotements lancinants, plusieurs dizaines, dont la monotonie laisse présager une suite ; chacun tend alors l'oreille et soudain... des cris terribles sont entendus, une première depuis le début des manifestations. Ces cris proviennent de l'extérieur, il semble s'agir d'une femme hurlant au loin au beau milieu de la tempête, mais plus ils retentissent, plus ils se rapprochent. Peu avant deux heures du matin, les cris proviennent cette fois de l'intérieur, plus exactement du vestibule et de l'escalier. À trois heures vingt, une nouvelle galopade se fait entendre et deux derniers cris, toujours à l'intérieur, concluent cette horrible nuit. Comme toujours, la fouille du château n'a rien donné.

12 novembre 1875

De nouveaux cris retentissent, tous à l'intérieur et à différents endroits: vestibule, cave, escalier et chambre verte. Un concert très angoissant où se mélangent des cris étouffés, plaintifs, sanglotants et puissants, ayant tous en commun d'être féminins.

À partir du 13 novembre 1875

À partir du 13 novembre, les manifestations ne sont plus seulement nocturnes et la terreur s'accentue. De nouveaux cris de plus en plus effroyables se font entendre. Les coups font parfois trembler les murs du château. Les portes et les fenêtres s'ouvrent et se ferment, y compris certaines fenêtres pourtant solidement condamnés. Les meubles bougent, il s'agit parfois de simples déplacements, d'autres fois ils se renversent ou se superposent, et régulièrement, ils empêchent l'ouverture des portes. Les objets sur les meubles se déplacent également ; les livres de l'abbé se sont une fois tous retrouvés au sol, tombant spontanément des étagères, tous sauf trois livres d'écritures saintes. Les galopades continuent, avec une nouveauté effrayante, des bruits de pas très proches de soi chemin faisant, donnant le sentiment d'être suivi. Un jour, à l'extérieur, les deux chiens de garde se précipitent soudainement vers un buisson dont ils ressortent terrorisés, et ils refuseront à l'avenir de simplement s'en approcher. Ce buisson est aussitôt inspecté, rien ne s'y trouve. Une autre fois, un officier passant la nuit au château est réveillé par le froufrou d'une robe de soie, il allume sa bougie, un souffle l'éteint aussitôt. Il l'a rallume, un souffle l'éteint à nouveau. Et encore une fois. Dans le même temps, une force essaie de tirer sa couverture, il saisit alors son arme et tire au jugé dans sa direction mais touchera seulement le mur. Et la nuit, il est désormais habituel d'être réveillé par des cognements à sa porte sans personne derrière.

Le 25 décembre vers vingt-et-une heures, une personne est entendue passant le balais dans le corridor. Tout le monde accourt mais il n'y a personne, en revanche, le balais, normalement rangé autre part, se trouve contre un mur. Personne n'oubliera ce jour de Noël.

Le 30 décembre, un curé venu passer la nuit au château sent juste avant de se lever, vers six heures du matin, un corps se couchant à ses côtés. Déjà parfaitement réveillé, il sursaute et inspecte aussitôt le lit et la chambre, mais ne voit rien.

Janvier / Février 1876

À ce stade, les manifestations ont commencé il y a près trois mois. De nombreux témoins ayant séjourné au Château des Noyers, connus pour être d'honnêtes gens, dont plusieurs médecins et hommes d'Église, l'attestent sur l'honneur: le Château des Noyers est le théâtre de phénomènes surnaturels. Et personne ne soupçonne le châtelain de les mettre en scène, arrivé au Tourneur il y a maintenant huit ans, Ferdinand Lescaudey de Manneville est désormais bien connu dans les environs et nul ne doute de sa probité, a fortiori dans la mesure où il fait tout son possible pour trouver une cause rationnelle et ne tire aucun profit de cette affaire, il est même perdant, la valeur marchande de son château étant amoindrie par de telles péripéties ; l'intéressé a d'ailleurs soupçonné un temps ce dernier aspect d'être à l'origine de la situation. Se pensant peut-être victime d'une supercherie de la part d'un acheteur peu scrupuleux souhaitant lui soutirer le château à vil prix, il l'a fouillé de fond en combles à la recherche de passages secrets potentiellement empruntés la nuit par des scélérats venus simuler la hantise du château pour le compte d'un tel acheteur, et ne trouvant rien par lui-même, a fait sonder un à un tous les murs, sans résultat. Les différents points d'entrée sont également sécurisés en secret la nuit par de petits fils invisibles devant casser au moindre franchissement. Vérifiés le matin au réveil, les fils sont toujours intacts. Finalement, il profite aussi de l'hiver, recherchant des traces de pas dans la neige autour du château dès les premières lueurs du jour, sans jamais en trouver.

L'affaire commence à faire grand bruit, bien au-delà du Tourneur. Informé de la situation, l'évêché a envoyé un prêtre sur place pour étudier la possibilité d'une possession, et s'il le juge nécessaire, exorciser le château ; de manière informelle il va sans dire. Il arrive le 5 janvier au Château des Noyers, et le 14 ou le 15 janvier, profitant d'une accalmie, décide de l'exorciser. Des croix indulgenciées et des médailles de Saint-Benoît et de Lourdes sont à cette occasion placées à toutes les portes. Et Ferdinand Lescaudey de Manneville fait dire en complément neuf messes à Lourdes.

Le prêtre envoyé par l'évêché s'en va le 17 janvier. Dès les heures suivantes, les phénomènes reprennent. Les médailles et les croix disparaissent toutes, comme par enchantement. Mais une fois les neuf messes finalement célébrées, coup de théâtre, tout s'arrête. Par précaution, le prêtre revient exorciser une dernière fois le château, où la vie peut enfin reprendre son cours normal. Hélas, provisoirement. Au courant du mois de février, les médailles et les croix réapparaissent, pleuvant du plafond, signalant ainsi la reprise des hostilités.

Ferdinand Lescaudey de Manneville décide alors, la mort dans l'âme, de vendre le Château des Noyers. Si chacun s'en réjouit, il va tout de même falloir prendre son mal en patience, le temps de trouver un acheteur, or, de la patience, le précepteur du jeune Maurice n'en a plus. De guerre lasse, l'abbé de Cussy plie bagage. Rapidement remplacé, son successeur ne tardera pas à faire partie des témoins.

Après le Château des Noyers

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La famille partira finalement en 1877 du Château des Noyers, vendu à un certain Monsieur Decaen, personnage impie et peu recommandable ayant fait fortune avec une attraction mobile d'un genre particulier: la carcasse d'une baleine. D'une réputation exécrable, il est connu pour malmener ses gens, les faisant même travailler le dimanche et les obligeant, par pur sadisme, à consommer de la viande le vendredi saint. Par ailleurs franc-maçon, rose-croix, féru d'occultisme... son intérêt pour la demeure n'est guère surprenant.

Un jour, le journal de bord sera donné à lire à Camille Flammarion. Sa lecture terminée, il pressera son auteur d'en autoriser la publication, travaillant justement sur un prochain ouvrage: "Les maisons hantées". Ferdinand Lescaudey de Manneville finira par y consentir, en imposant toutefois l'anonymat comme condition, acceptée avec regret et finalement pour rien, le château hanté et son propriétaire finissant par être reconnus.

Célina Desbissons, la cuisinière du Château des Noyers au moment des faits, tenait d'ailleurs elle-même un journal de bord dont le contenu corrobore largement celui de son employeur. Transmis de génération en génération, ce journal est aujourd'hui conservé précieusement par son arrière-arrière-petit-fils, Didier Duchemin, maire-délégué du Tourneur depuis 2010 et fin connaisseur de l'histoire du Château des Noyers, il lui est d'ailleurs arrivé d'endosser le rôle de guide.

Après le départ des Lescaudey de Manneville, le Château des Noyers sera habité pendant un peu plus d'un siècle. Une certaine Madeleine Richard en sera la dernière occupante, chassée en 1984 par un nouvel incendie d'origine inconnue épargnant seulement la façade et la chambre verte, la pièce la plus fortement hantée du château.

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Publié par Jean-Charles Pouzet sur Caedes le 12-08-2024

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